Ce lundi midi, Wild Legal était aux côtés des membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) pour échanger avec la Ministre de la transition écologique et le Garde des Sceaux, suite à leur annonce de reconnaître le délit d’écocide. A cette occasion, nous avons évoqué les causes de notre profond désaccord avec la définition proposée. Décryptage.
Dimanche dernier, dans le JDD, les deux ministres ont annoncé vouloir inscrire un délit d’écocide dans le droit français. Ne nous y trompons pas. Ce qui est annoncé ici n'est que l'actualisation du “délit générique d’atteinte à l’environnement”, une mesure que le gouvernement proposait depuis la remise en octobre 2019 du rapport “ Une justice pour l’environnement”, ici simplement -et opportunément- renommé “délit d’écocide” afin de simuler une mise en conformité avec la Convention citoyenne sur le climat. Les citoyens présents ce jour au rendez-vous ministériel n’ont toutefois pas été dupes de la manœuvre, et ont annoncé qu’ils ne se retrouvaient pas dans le texte, très loin de leur proposition d’écocide.
Ce texte, nous le regrettons, est très éloigné de l’ambition d’origine, et se limite aux problématiques de pollutions locales au lieu de prendre la mesure des enjeux actuels et de la mise en péril des conditions de vie sur Terre suite aux atteintes à l’équilibre des milieux naturels. L’objectif de l’écocide est en effet de créer un crime au sommet de la pyramide des atteintes à l’environnement et ainsi de sanctionner les dommages qui portent atteinte à la sûreté et à l’habitabilité de nos territoires.
Or, la proposition du gouvernement ne tient pas compte des origines historiques et du contexte international qui entoure la reconnaissance du crime d’écocide. En effet, le terme d’écocide est né dans le cadre de la guerre du Vietnam pour dénoncer la destruction massive de l’environnement causé par l’Agent Orange. L’écocide ne désigne pas n’importe quel crime environnemental : il est d'entre tous, LE crime environnemental. Celui qui s'impose à tous et toujours, puisqu'il vise les atteintes à l’environnement d’une gravité telle qu’elles mettent en péril la sûreté de la planète. Lors de l’élaboration du Statut de Rome, il a d’ailleurs été envisagé pendant longtemps d’introduire une telle infraction parmi les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. Aussi, en affaiblissant la portée du crime d’écocide, cette définition proposée par le gouvernement, porte atteinte aux mouvements juridiques internationaux tels que la Stop ecocide Foundation qui agissent encore pour l'introduction de ce crime devant la Cour pénale internationale. Alors qu’au niveau mondial, les juristes se battent pour demander la reconnaissance d’un crime permettant dans le domaine environnemental une réprobation universelle analogue à celle garantie par les crimes contre l'humanité ou le crime de génocide, il n’est pas acceptable au niveau français, de l’accoler telle une étiquette greenwashée à n’importe quel délit de pollution. Notre proposition portait en son sein une dimension écosystémique, reposant sur la compréhension des limites planétaires et des équilibres biologiques des milieux naturels. Or la définition du gouvernement revient à se cantonner aux actes impliquant le rejet de substances polluantes affectant l’eau, l’air ou le sol.
Pour Marine Calmet, présidente de Wild Legal : «alors qu’Emmanuel Macron avait lui-même qualifié la déforestation liée aux incendies en Amazonie de crime d’écocide, la définition proposée par ses ministres ne permettrait pas de poursuivre la destruction de forêts sur le territoire français. Un décalage qui montre bien que cette mesure n’est pas à la hauteur des enjeux de ce siècle ».
Plus encore. Notre proposition ambitionne un véritable changement de paradigme dans le droit pénal environnemental, par la création d'un crime autonome, décorrélé du droit administratif. Quel apport en pratique ? Une pollution légale telle que la pollution industrielle due aux rejets de boues rouges de l’usine Alteo au large de Marseille, ne pourrait plus être couverte par de simples autorisations préfectorales de droit administratif, et pourrait enfin être poursuivie pour crime d’écocide (voir le dossier Wild Legal). Une avancée que le Garde des Sceaux a rigoureusement écartée.
Pour finir, le niveau de peine proposé par le gouvernement n'est pas suffisant et ne reprend pas la proposition de la CCC qui réclamait une amende de 10 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, de 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial. Un calcul simple à effectuer et qui a été revu à la baisse puisque le gouvernement propose une sanction de 4,5 millions d’euros “pouvant être portée au décuple de l’avantage obtenu”. Un calcul difficile et incertain qui dépendrait de l’obtention de suffisamment d’informations quant aux frais de traitement des rejets polluants (déchets) évités… Cette proposition ne vient pas faciliter la tâche du juge !
Par ailleurs, depuis le mois de juin 2020 (clôture de la CCC), Wild Legal a pris acte de l’impossibilité de traduire les limites planétaires dans le droit français dans le délai que nous imposait l’agenda politique du gouvernement (voir le dossier Wild Legal Ecocide et Limites planétaires). Nous avons donc travaillé à une définition alternative afin de nous appuyer sur des concepts juridiques existants en droit français. Nous avons proposé une définition reprenant la philosophie de la CCC et s’appuyant sur les travaux de Polly Higgins et des textes de droit international, pour définir et sanctionner l’écocide par le biais de l’atteinte aux intérêts “écologiques” fondamentaux de la nation (article 410-1 du Code pénal), entendus comme “les dommages graves, durables ou étendus à l’environnement qui seraient de nature à mettre en danger à long terme l’équilibre du milieu naturel ou susceptibles de nuire à l’état de conservation d’un écosystème”.
Ce travail a fait l’objet de discussions au sein d’un groupe de travail composé de membres de la CCC, de juristes, magistrats, professeurs de droit et scientifiques afin de faire progresser les débats. A deux reprises nous avons échangé avec les ministères pour leur faire part de nos travaux avec les citoyens de la CCC et leur présenter l’évolution de notre document de travail, mais aucune des propositions de consensus n’a été retenue.
« Le coup de poker consistant à renommer le “délit générique d’atteinte à l’environnement” en “délit d’écocide” n’est pas digne de l’espoir que les membres de la CCC ont placé en la parole du Président et en ce gouvernement », souligne Marine Calmet.
En conséquence, nous demandons au gouvernement de retirer l’appellation de délit d’écocide à ce texte qui ne respecte ni les volontés de la CCC, ni les ambitions du mouvement international pour la reconnaissance de l'écocide. Les échanges se poursuivront devant les parlementaires au cours des débats sur le projet de loi Parquet européen, à partir du 8 décembre prochain. Nous espérons pouvoir compter sur les député.es ayant exprimé leur soutien envers les citoyens de la CCC pour déposer des amendements et défendre une reconnaissance du crime d'écocide à la hauteur des défis écologiques et sociétaux de notre époque.
Contact presse :
Marine Calmet : 06.89.24.03.99
Héléna Seron : 05.62.65.12.70
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