Le Livre blanc pour les droits du fleuve Garonne propose une analyse du contexte actuel de gouvernance et de protection du fleuve et présente les pistes de la reconnaissance des droits de la Garonne.
La Garonne, vue depuis le pont Saint-Projet. © Nitot, Flickr CC by NC SA 2.0
Ce document s’inscrit dans le cadre de l’expérimentation des droits des fleuves et des rivières menée par Wild Legal, en collaboration avec des partenaires locaux volontaires (élus, associations, établissements publics…), dont la Garonne est l’un des sites pionniers. Par ses actions concrètes et locales, cette campagne a pour ambition d’inspirer et de faire avancer le débat national sur la reconnaissance des droits de la nature. Les résultats de cette expérimentation sont régulièrement documentés et présentés au grand public, dans le but de les voir progressivement répliqués partout en France.
Convaincu de l’importance de renforcer la protection du fleuve, Maxime Ghesquière, élu en charge du cycle de l’eau à la ville de Bordeaux, s’est entouré de divers partenaires dont Wild Legal, qui a réalisé le présent document afin de définir une stratégie politique et juridique pour la reconnaissance des droits de la Garonne.
Etat des lieux
Troisième fleuve français par son débit moyen, la Garonne est connue pour la variété et la rareté des espèces animales et végétales qu'elle abrite sur près de 600 km. Son bassin versant représente 10% du territoire français métropolitain.
A ce jour, différents régimes de protection juridiques se succèdent le long du fleuve. Il peut s’agir d’arrêtés de protection de biotopes, de sites Natura 2000, de ZNIEFF, ou encore d’une réserve naturelle régionale. Cependant, cette protection, bien qu’ambitieuse, reste parcellaire. Elle ne permet pas de protéger les intérêts du fleuve en tant qu’entité naturelle.
La gestion actuelle du fleuve est guidée par l’objectif d’atteinte du “bon état” écologique et chimique de l’eau fixé au niveau européen. Des plans de gestion doivent alors être établis à l’échelle des bassins ou sous-bassins hydrographiques, ne correspondant pas au découpage administratif du territoire. Le bassin hydrographique Adour-Garonne est l’un des douze districts français identifiés à la suite de l’entrée en vigueur de la directive cadre sur l’eau (DCE). Il est notamment constitué du bassin de la Garonne. C’est donc à cette échelle qu’est élaboré le SDAGE Adour-Garonne par le comité de bassin Adour-Garonne. Ce document fixe la politique de l’eau pour six ans et s’impose aux documents d’urbanisme et aux autorisations ICPE et IOTA par exemple. A l’échelle inférieure de sous-bassin, les SAGE déclinent localement le SDAGE et sont élaborés par les commissions locales de l’eau. Il en existe trois sur le périmètre du fleuve : le SAGE Nappes profondes de Gironde, le SAGE Estuaire de la Gironde et le SAGE Vallée de la Garonne, mais bien plus sur l’ensemble du bassin versant.
Le constat scientifique est sans appel : l’écosystème du fleuve est menacé. Menacé, en premier lieu, par différentes pressions anthropiques bouleversent le milieu, comme l’extraction de granulats dans l’estuaire, l’augmentation des prélèvements en eau, ou encore l’activité des centrales nucléaires présentes. Face à ces pressions, la quantité et la qualité de l’eau sont dégradées et le fleuve peine à remplir ses fonctions écosystémiques (eau trop chaude, manque d’oxygène, débit trop bas…). Menacé, d’autre part, par le dérèglement climatique qui entraîne une baisse du débit du fleuve et le réchauffement de l’eau, favorisant, par exemple, la persistance des polluants dans le fleuve.
Face à ces problématiques environnementales, il apparaît nécessaire d’améliorer le régime de protection juridique et la gouvernance du fleuve.
Reconnaissance des droits à la Garonne
L’anthropocentrisme du droit existant fait primer les intérêts privés sur les intérêts des écosystèmes en permettant la poursuite des activités humaines à l’origine de la crise écologique. L’école des droits de la nature énonce le postulat juridique selon lequel, pour que la protection de la nature soit réelle et effective, des mesures de sauvegarde ou de réparation doivent pouvoir être réclamées au nom propre des éléments naturels et dans leurs intérêts exclusifs. De plus, les droits du fleuve, une fois reconnus, doivent guider les parties prenantes dans leurs activités, leur gouvernance et leurs processus de planification.
En se fondant sur une approche bioperspectiviste, l’association Wild & Legal œuvre pour la reconnaissance de la Garonne en tant que sujet de droits.
Pour qu'une entité naturelle puisse devenir sujet de droits, elle doit être titulaire :
de droits fondamentaux intrinsèques ; l’entité doit notamment avoir la possibilité de voir l'atteinte à ces droits réparée en cas de pollution ou d'autres atteintes.
du droit d'être représentée au sein des instances consultatives et décisionnelles dont le périmètre d’action est susceptible d'impacter le fleuve.
de l’intérêt à agir pour défendre ses droits fondamentaux, dont le droit d’ester en justice est assuré par les personnes compétentes pour agir au nom du fleuve.
Plus concrètement, les droits fondamentaux reconnus au fleuve peuvent s'inspirer de ceux inscrits dans la Déclaration universelle des droits des fleuves et des rivières en s’adaptant aux spécificités locales et écologiques de la Garonne. Il s'agit par exemple du droit de ne pas être pollué, du droit de remplir ses fonctions essentielles dans son écosystème ou encore du droit de s’écouler librement qui implique le respect d’un débit minimum.
Le processus de reconnaissance de droits au fleuve Garonne suit plusieurs étapes :
1. Détermination du périmètre de l’écosystème sur lequel ces droits s’appliquent (les trois SAGE, le fleuve, le bassin versant…)
2. Consécration des droits reconnus à la Garonne dans des documents juridiquement contraignants ou simplement déclaratifs :
Dans un document déclaratif. Les droits du fleuve peuvent dans un premier temps être inscrits dans une Déclaration de droits ou un autre document n'ayant pas de portée contraignante, mais pouvant acquérir une valeur juridique postérieurement (par exemple, en étant intégré dans des documents de planification).
Dans un document de planification faisant du respect des droits de la nature un principe directeur de l’action publique, et influençant ainsi l'écriture des plans, programmes et autres documents de planification territoriale (SDAGE, SAGE, PLU, PADDUC, etc...).
Dans la charte de valeurs de la marque de territoire Garonne visant à valoriser les efforts des acteurs locaux (entreprises, associations, etc..) pour la protection de la nature.
3. Désignation d’une structure gardienne de ces droits et représentant la Garonne, ayant pour mission d’agir dans les intérêts du fleuve. La structure désignée gardienne peut préexister (une association agréée, un syndicat de communes...) ou être créée ad hoc (un conseil des gardiens de la Garonne par exemple). Par ailleurs, le législateur pourrait reconnaître l'intérêt à agir de tout individu (actio popularis) pour défendre les droits de la Garonne lorsqu'ils sont lésés.
Les différentes pistes développées dans ce documents ne sont pas limitatives et ont vocation à être développées par les parties prenantes dans le respect du contexte de la Garonne. La reconnaissance de droits au fleuve doit poursuivre certains principes directeurs comme le respect du processus démocratique et nous portons une attention particulière à la non-complexification de l’existant.
Le livre blanc sera publié à la rentrée de septembre 2023.
Pour toute question, contactez l’association Wild Legal à l’adresse contact@wildlegal.eu
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