C’est au cœur de la capitale équatorienne, à Quito, que s'est joué un épisode important du feuilleton judiciaire pour les droits de la rivière Machángara qui traverse la ville. Le 5 juillet 2024, la Cour de justice y a rendu un arrêt reconnaissant la violation des droits constitutionnels de cet écosystème et a ordonné à la municipalité, de mettre en œuvre un plan pour la décontaminer, en incluant la société civile. Une victoire qui pourrait faire boule de neige en Équateur, mais pas seulement !
Contexte et historique de la décision
Le juge s’est prononcé sur l’avenir des eaux de la Machángara, une rivière de 22km de long et de ses 54 ruisseaux et criques qui l'alimentent. Alors que seul 2% des eaux usées de la ville sont traitées, cet écosystème fait face à une pollution industrielle et domestique massive contre laquelle une coalition d’une quarantaine d’organisations et d’acteurs locaux, dont le peuple autochtone Kitu Kara, a agi en justice.
Les plaignants ont présenté des rapports démontrant les graves conséquences de la pollution sur la santé de la rivière et celle des communautés riveraines. Pour cela, ils ont pu s’appuyer sur l'article 71 de la Constitution équatorienne qui, depuis 2008, stipule que la Pachamama, la nature « a droit au plein respect de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux » et que toute personne peut exiger des autorités qu'elles respectent ces droits, y compris les demandes de restauration visant à éliminer ou à atténuer les dommages causés aux milieux naturels.
L’Alliance mondiale pour les droits de la nature (GARN) a fait valoir que « le fleuve emporte des tonnes de déchets qui descendent des ravins et des collines », ce qui entraîne des niveaux d’oxygène descendant jusqu’à 2% seulement (au lieu de 80% dans un milieu sain), rendant la vie aquatique impossible.
Suite à cette action, le tribunal a non seulement reconnu la violation des droits de la rivière Machángara, en tant que sujet de droits fondamentaux, mais a également tenu la municipalité de Quito responsable de cette situation. Il a ordonné la mise en place d’un plan de décontamination comprenant la réduction des rejets polluants, la restauration des berges et l'implication active citoyenne dans la gestion durable de la rivière.
Impacts juridiques
La décision de justice va, bien sûr, au-delà du strict cadre environnemental et elle instaure un précédent politique fort au plan national et international. En reconnaissant la rivière comme un sujet de droit, le tribunal envoie un signal clair sur les enjeux liés à la reconnaissance et au respect des droits des rivières dans le monde.
Sur le plan juridique, cette affaire renforce l’application des dispositions de la Constitution équatorienne concernant les droits de la nature. En effet, la municipalité de Quito, malgré le fait qu’elle fasse appel de la décision, est désormais contrainte d’élaborer des mesures concrètes pour garantir la décontamination de la Machángara, avec des obligations à long terme pour les administrations futures. Cela assure que la préservation du fleuve ne dépende plus uniquement de promesses politiques passagères, mais qu'elle soit intégrée dans chaque plan de gestion municipal.
La reconnaissance des droits de la nature donne également plus de poids aux organisations de la société civile et aux communautés locales, qui peuvent faire valoir leurs droits face à des projets ayant un impact négatif sur leur milieu de vie et contester les carences de l’administration.
Conséquences politiques et sociétales
D’un point de vue politique, cette décision pourrait influencer d'autres villes et régions d’Équateur à suivre cet exemple et à adopter des mesures similaires pour protéger les milieux naturels aquatiques.
En effet, les jurisprudences similaires forment désormais un faisceau d’indice solide pour guider les décisions des juges équatoriens. En 2011 déjà, le fleuve Vilcabamba, dans la province de Loja, avait vu son débit augmenter en raison du dépôt de matériaux d'excavation dans son cours, causant des dommages aux terres avoisinantes. En plus de reconnaître les droits de la nature et d'ordonner des mesures de réparation, le tribunal a ordonné au gouvernement provincial de présenter des excuses publiques. Dans le cas de la rivière Alambí à Pichincha en juin 2023, le jugement a mis un terme à un projet hydroélectrique sur le fondement des droits de la nature et du droit à la consultation des habitant-es.
Ces jurisprudences en faveur des milieux naturels pourraient conduire à une réévaluation, voire à un abandon des projets qui ignorent ou nuisent aux droits de la nature.
Ce jugement pourrait aussi renforcer la participation citoyenne. Comme l’a souligné Titi Reyes, expert local en politiques publiques municipales, l’implication des citoyens est cruciale pour assurer que les actions de décontamination et de préservation soient menées de manière durable. Cela pourrait inciter la population à se mobiliser davantage pour l’écologie, encourageant une gestion collective et à long terme des espaces naturels.
Conclusion
La reconnaissance des droits de la rivière Machángara par la justice équatorienne est une victoire majeure pour les défenseurs de l'environnement et un jalon important dans la lutte pour les droits de la nature.
Elle ouvre la voie à une nouvelle ère de gestion écologique participative, en renforçant les responsabilités juridiques des autorités locales et en encourageant la collaboration entre les citoyen-nes et les institutions. Cette décision, bien que locale, aura sans doute des répercussions importantes non seulement pour l’Équateur, mais aussi pour l'Amérique du sud et le monde entier.
En janvier dernier, Wild Legal a déposé un recours historique en ce sens, en s’associant aux organisations Association Des Victimes du Mercure - Haut-Maroni, Solidarité Guyane, Maiouri Nature Guyane, la Coordination des Organisations des Peuples Autochtones Guyane (COPAG), la Jeunesse Autochtone de Guyane (JAG) ainsi que les représentants Wayana Linia OPOYA et Michel ALOIKE (chef coutumier de Taluen), pour faire reconnaître le droit à la santé du fleuve Maroni et des peuples de Guyane affectés par l’orpaillage illégal et la pollution au mercure.
Comments