En l’honneur du Jour de la Terre 2021, Wild Legal revient sur le statut de nouvelles autorités en charge de la protection de la nature dans le monde, preuve d'une mutation de nos modèles de gouvernance. En France, il est temps d'amorcer une réflexion en profondeur car les enjeux écologiques actuels nécessitent que nous nous interrogions sur le meilleur moyen d'instaurer au sein de la puissance publique un organe indépendant disposant de véritables pouvoirs pour défendre la Nature.
Les 8 et 15 avril 2021, se sont tenues deux visioconférences intitulées “Ombudsman pour les générations futures - Médiation et défense de l’environnement” organisées par la Chaire d’excellence Normandie pour la Paix.
L’objectif était d’auditionner différents experts autour du sujet de la médiation et de la défense de l’environnement. Ceci afin de nourrir à la fois les réflexions de la diplomatie scientifique et celles de Mme la députée LREM Cécile Muschotti mandatée par le Premier Ministre le 27 janvier dernier pour étudier les conditions de création d’un “Défenseur de l’environnement” sur le modèle du Défenseur des droits en France.
Il faut préciser que cette commande est le fruit du rapport Une justice pour l’environnement de 2019 ainsi que des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat. En effet, il apparaît nécessaire de créer aux sein de nos institutions une instance supérieure disposant de pouvoirs effectifs pour renforcer la protection de l’environnement et des générations futures. Haut conseil pour le climat, Conseil national de la transition écologique, Autorité environnementale, Conseil national de la protection de la nature… Les autorités administratives sectorielles ne manquent pas. Mais la hiérarchie actuelle des pouvoirs de l’administration française chargée de cette protection souffre d’un déficit de structuration et d'effectivité auquel il faut remédier.
Auditionnée le 3 février 2021, aux côtés de Guy Kulitza et Grégoire Fraty, membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), Marine Calmet, présidente de l’association Wild Legal a présenté la proposition relative à la création d’une Haute Autorité aux limites planétaires. Nous serons donc très vigilants quant au rapport final de Mme Cécile Muschotti attendu pour fin mai 2021.
Regard sur les acteurs de la protection de l’environnement dans le monde
La Hongrie s’est dotée en 2008 d’une institution unique au monde : une Commission Ombudsman pour les Générations futures.
A l’origine, “Ombudsman” est un terme suédois qui peut se traduire littéralement par médiateur ou encore protecteur. Sa mission est de recevoir les plaintes des citoyens contre l’administration. Cette figure est née en Suède en 1809 pour que les sujets disposent d’un référent indépendant du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.
L’originalité de la création hongroise porte sur sa mission de “veiller aux intérêts de ceux qui ne sont pas encore représentés sur la scène politique”, à savoir les générations futures ! En effet, l’Etat est légalement responsable de la transmission du patrimoine commun, ce qui implique un état de conservation de la nature qui ne soit pas altéré et dans la mesure du possible bonifié. Cette obligation découle de la protection du droit à un environnement sain garanti par la Constitution hongroise. Celle-ci inclut également une description détaillée des ressources naturelles qui doivent être protégées dans l’intérêt des générations futures.
Pour y parvenir, la Commission Ombudsman hongroise dispose de différents pouvoirs. En particulier un véritable pouvoir de contrainte. Elle peut demander à des particuliers de mettre fin à des activités menées en violation du droit de l’environnement, adresser des recommandations à diverses autorités publiques qui sont tenues d’y répondre, initier des procédures de supervision de décisions d’administrations publiques et même prendre part à des procédures juridictionnelles en alertant notamment la Cour constitutionnelle en cas de mise en danger de l'environnement.
En cela, la Commission Ombudsman hongroise a des pouvoir plus étendus que des instances homologues dans d’autres pays, telles que le Comité pour le futur finlandais ou la Commission pour les générations futures de la Knesset en Israël (qui a pris fin en 2006). Le Comité pour le futur finlandais, créé en 1993 est une commission permanente du Parlement depuis 2000. Chargé de donner des éclairages stratégiques de long terme sur différents sujets comme le climat ou encore les conséquences du développement technologique sur la société, ce comité ne dispose pour autant pas de véritable pouvoir de contrainte.
Par ailleurs, la Commission Ombudsman hongroise collecte de nombreuses informations auprès d’associations et d’entreprises, grâce à quoi elle est en capacité de développer des stratégies concrètes face à des problématiques environnementales. Ces stratégies peuvent être concrétisées légalement grâce à son rôle consultatif auprès du gouvernement et son pouvoir de proposition sur les lois et règlements.
La Commission Ombudsman pour les Générations futures représente donc une véritable innovation juridique qui a les moyens de prendre en compte de manière concrète l’intérêt des générations futures et la nature.
Cette innovation commence tout juste à susciter l’intérêt des autres pays.
En effet, le Pays de Galles a, en 2015, suivi les traces de la Hongrie en se dotant également d’un Commissaire pour les générations futures. Ses missions s’inscrivent notamment dans un objectif de bien-être, conformément aux principes du développement durable, dont la préservation des écosystèmes est une composante.
Un “défenseur de l’environnement” en France remplirait-il ces ambitions?
Le rapport de la justice pour l’environnement de 2019, préconisait déjà dans sa recommandation n°19 de “créer une autorité indépendante garante de la défense des biens communs dans l’intérêt des générations futures, pouvant agir sur saisine citoyenne, et disposant d’un pouvoir d’avis, de recommandation et d’injonction, y compris en urgence et chargée de garantir la qualité, la transparence et l'impartialité de l'expertise environnementale ainsi que l’information délivrée au citoyen.”
Ce rapport fait écho à la proposition de la députée Mme Cécile Muschotti de 2019 qui alertait le ministre de la transition écologique et solidaire de l’époque, François de Rugy, de la nécessité de réconcilier écologie et justice sociale, dans le contexte de la crise des gilets jaunes. Elle défendait la création d’un Défenseur de l’environnement sous le statut d’autorité administrative indépendante (AAI).
Gardien de la Charte de l’environnement, vecteur de lien avec les citoyens et les personnes publiques, sa saisine serait gratuite et la plus large possible afin de favoriser la participation du public. Son indépendance devrait être garantie par une nomination présidentielle. Mme Muschotti y voit “un outil de rationalisation et un outil du territoire” pour protéger au mieux la nature.
Des interrogations subsistent néanmoins sur le contour de ses pouvoirs. La députée a souhaité que le Défenseur puisse, à la suite d'une saisine “exercer une pression” pour faire cesser une atteinte à l’environnement. Mais Wild Legal s’interroge : cette autorité aura-t-elle un pouvoir contraignant ? L’association reste prudente, afin qu’il ne s’agisse pas d’un simple affichage politique à la veille de l'élection présidentielle.
La création d’une Haute Autorité pour les limites planétaires, proposition novatrice de la CCC
Deux ans après la proposition de Mme Muschotti et du Rapport de la justice pour l’environnement, la Convention citoyenne pour le climat (CCC) et Wild Legal sont allés encore plus loin en proposant la création d’une Haute Autorité pour les limites planétaires (HALP) afin d’apporter une réponse transversale aux enjeux climatiques mais également provoquer une profonde refonte de l’ensemble de nos politiques écologiques.
Celle-ci permettrait d’aboutir à “instance scientifique supra-ministérielle compétente pour garantir l’application et le respect des mécanismes biologiques des écosystèmes ainsi que leurs interactions.” La notion de limites planétaires, inscrite en droit, permettrait alors à cette autorité de disposer d’une vision globale de la situation écologique.
Retrouvez ici la proposition de la CCC et la présentation des limites planétaires et de la Haute Autorité pour le Climat.
Contrairement à la Haute Autorité des limites planétaires, le projet de Défenseur de l’environnement préconisé par Mme Muschotti semble avant tout tourné vers la médiation avec le public. Il ne semble pas comporter un soutien technique et scientifique supplémentaire. Or pour l'association Wild Legal, l'expérience montre que sur le terrain, les associations ont besoin d'une autorité de contrôle, capable de fournir des rapports et analyses pour s'opposer à des activités industrielles dangereuses. Or, les services de l'Etat ont jusqu'ici montrer des défaillances graves auxquelles il faut remédier si nous voulons empêcher de nouvelles catastrophes, telles que Lubrisol, ou faire obstacle à l'implantation de projets climaticides et écocidaires.
Si les propositions pour un Défenseur de l’environnement ou une la Haute Autorité pour le Climat ont chacune pour projet commun d’accompagner les personnes privées et publiques vers un modèle respectueux de l’environnement et de créer du lien avec la société civile, les pouvoirs dévolus à ces 2 instances, et donc leurs ambitions, ne sont pas du même ordre.
Il faut tirer les leçons du passé : l’impact du milles feuilles d'autorités actuel est relatif car celles-ci ne sont que consultatives et dans de nombreux cas, leurs avis ne sont pas suivis par l’administration. Créer une autorité supplémentaire ne permettrait en aucun cas d’améliorer la lisibilité de l'action publique et ne permettrait probablement pas d’améliorer la protection des écosystèmes pour les mêmes raisons que les autorités déjà existantes ont échoué dans cette mission.
L'innovation de la HALP serait d’être collégiale et non personnifiée par un défenseur. Wild Legal préconise la création de 9 collèges de 10 membres, composés de scientifiques choisis à la suite d’un appel à candidatures, en raison de leurs connaissances ou de leur expérience dans le domaine propre à leur collège. L'objectif serait de fusionner les autres autorités afin d'en renforcer l'autorité.
En ce qui concerne ses pouvoirs, la HALP disposerait d’un véritable pouvoir de mise en demeure. Elle pourrait notamment demander une fermeture administrative temporaire ou définitive, et saisir le juge en vue de l’application de mesures conservatoires et/ou réparatrices dans le cas d’agissements manifestement incompatibles avec la protection des limites planétaires.
Marine Calmet, juriste, présidente de l’association Wild Legal: « La proposition de la Convention citoyenne sur le climat serait une haute autorité indépendante, avec un conseil scientifique et pas uniquement un défenseur, médiateur, rattaché au ministère de la Transition écologique. Que ce soit au niveau national ou local, le rapport de force est politique. Les décisions montrent un déficit de représentation de la nature au sein de nos institutions publiques. Dominique Bourg et Nicolas Hulot portent l’idée de cette chambre du futur. Il lui faut un pouvoir de mise en demeure car si elle est seulement saisie pour avis, le gouvernement passera outre. On le voit avec le Haut Conseil sur le climat et le Conseil économique, social et environnemental par rapport au projet de loi climat et résilience. » (Retrouver l’article complet sur La Gazette des communes)
Enfin, la HALP aurait le pouvoir de contrôler les nouvelles lois, règlements ou programmes, afin de s’assurer de leur compatibilité avec les limites planétaires, et de garantir que la France n’autorise plus de projets qui contreviennent à la protection des limites planétaires. L’objectif serait ainsi que les activités humaines reviennent progressivement sous les seuils d’équilibre biologique applicables à nos territoires.
Si la députée Mme Muschotti a déclaré lors de la conférence Ombudsman que “plus elle écoutait les débats, plus elle se rendait compte de l’importance du chantier”, alors Wild Legal espère qu’elle saura reconnaître l’apport de l'intégration d’une Haute autorité des limites planétaires dans cette figure de Défenseur de l’environnement.
En ce Jour de la Terre, la question de la transformation de nos institutions démocratiques doit être une de nos priorités pour intégrer véritablement la défense des droits de la Nature dans notre gouvernance et enfin sortir de l’Anthropocène.
Pour aller plus loin :
Ces workshops ont réuni de nombreux juristes de divers horizons comme Michel Prieur (Professeur émérite de Droit à l’université de Limoges, Président du Centre International de Droit Comparé de l’Environnement) Vincent Delbos (Magistrat, Inspecteur général de la Justice et ayant notamment participer à la rédaction du rapport de la justice pour l’environnement de 2019), Emilie Gaillard (Maître de conférence HDR en droit privé), Marie-Angèle Hermitte (Directrice de recherche au CNRS, directrice d’étude à l’HESS et IJSPS) et beaucoup d’autres...
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