Ces derniers mois ont été chargés pour les rivières. Et pour cause, nombre d’entre elles sont en mauvaise santé. En France, l’association Rivières sauvages pointe du doigt que seules 7 % des masses d’eau peuvent être considérées comme en « très bon état écologique » selon l’inventaire national. Alors la résistance s’organise. Partout dans le monde, des mouvements se mettent en place pour reconnaître et faire respecter les droits des rivières. Petit tour d’horizon de la révolution juridique en cours entre le Canada, le Pérou et la France.
La rivière Magpie au Canada et ses nouveaux Gardiens ….
En février dernier, la rivière Magpie, appelée également Mutehekau Shipu a été reconnue comme sujet de droit. Ce cours d’eau qui traverse le territoire ancestral du peuple Innu de la communauté d’Ekuanitshit, est l’un des plus importants du territoire de la municipalité régionale de comté (MRC) de Minganie, long de 290 km. Il est même reconnu et classé parmi les dix meilleures rivières au monde pour les activités en eau vive, apprécié pour le tourisme d’aventure et l’écotourisme.
Alors que la rivière Magpie abrite un large éventail d’espèces de faune et de flore, certaines ont aujourd'hui un statut «préoccupant» ou «menacé». En effet, elle ne bénéficie actuellement d’aucun statut de protection (sauf sur une infime portion) et son intégrité est menacée par des projets hydroélectriques.
Face à cette situation inquiétante, le MRC de Minganie a su prendre les devants. Disposant de la compétence pour protéger la rivière Magpie, il avait la possibilité de constituer un organisme destiné à la protection de l’environnement ou confier cette responsabilité à une société ou à une association. Fort de cette volonté de s’inscrire dans la dynamique du mouvement pour les droits de la Nature en suivant les exemples de l’Équateur, de la Nouvelle Zélande et de nombreux autres pays, la MRC de Minganie a, à l’unanimité et de commun accord avec le Conseil des Innu de Ekuanitshit, pris une résolution forte pour protéger la Magpie.
Dans la résolution votée le 16 février 2021, la personnalité juridique de la rivière Magpie a été reconnu ainsi que les droits fondamentaux suivants:
le droit de vivre, d'exister et de couler ;
le droit au respect de ses cycles naturels ;
le droit d'évoluer naturellement, d’être préservée et d’être protégée ;
le droit de maintenir sa biodiversité naturelle ;
le droit de maintenir son intégrité ;
le droit de remplir des fonctions essentielles au sein de son écosystème ;
le droit d'être à l'abri de la pollution ;
le droit à la régénération et à la restauration ;
le droit d’ester en justice ;
Grâce à cette (r)évolution juridique, la représentation légale de la Magpie sera désormais assurée par des Gardiens de la rivière nommés par la MRC de Minganie et la Première Nation des Innu de Ekuanitshit. Ses gardiens auront le devoir d'agir au nom des droits et des intérêts de la rivière et de veiller à la protection de ses droits fondamentaux. Ils auront également le droit de réclamer une réparation pour un préjudice subi par la rivière.
Le rôle primordial des Gardiens pour la sensibilisation et l’éducation du public, ainsi que l’entretien et la restauration du fleuve sera assuré en collaboration avec le Service d’aménagement et de développement de la MRC de Minganie, le Conseil des Innu de Ekuanitshit et avec la participation du public, notamment les jeunes et les aînés. Un modèle juridique permettant à la fois une meilleure protection du cours d’eau et une responsabilisation des habitants du territoire, pleinement investis dans cette nouvelle mission.
Au Pérou, l’eau désormais reconnue sujet de droits
Par une ordonnance municipale adoptée le 26 Décembre 2019, le district d’Orurillo au Pérou a reconnu l’eau comme un être vivant sujet de droits. Sources, rivières, lagunes, lacs… De cette manière, l’administration locale a entendu protéger l’eau sous toutes ses formes afin d’en renforcer la protection, la conservation, l'entretien et la régénération.
Les districts péruviens sont des organes de gouvernement local jouissant d'une autonomie politique, économique et administrative dans les domaines relevant de leur compétence, dont la préservation et l'administration des réserves et des zones naturelles et la protection de l'environnement. Leur mission est d’assurer le “développement intégral, durable et harmonieux de leur territoire”. Le choix des mots est important, car les Orurillo, sont un peuple Quechua qui conservent leurs traditions, leurs coutumes et leur relation de coexistence avec la Pachamama, la Terre mère.
Les Orurillo ont une identité propre qui est protégée constitutionnellement. De plus, au Pérou, les Communautés Paysannes et Indigènes sont des personnes morales et leur droit coutumier est reconnu ce qui lui donne valeur juridique.
C’est pourquoi reconnaître l'Eau Mère - Yakumama comme un être vivant sujet de droits sous toutes ses formes est aussi un exercice du droit établi dans l'Art. 2.19 de la Constitution, dans la mesure où dans le droit coutumier local, l’eau est sujet de droit.
C’est ainsi qu’est recherché un modèle social respectueux du principe de sumaq kawsay, des mots Quechua se référant à la vision ancestrale du monde, un paradigme, une philosophie et une proposition politique, selon laquelle les humains forment une unité avec tous les autres éléments du cosmos, qui sont dans un cycle de renouvellement continu. La traduction serait donc “vie en plénitude, en harmonie, en équilibre”. Dans cette cosmologie Yakumama, L’Eau Mère joue un rôle fondamental, vital, car elle donne la vie et nourrit. C’est une «personne » vivante avec laquelle on peut interagir.
Cette ordonnance s’inscrit dans une approche bioculturelle, respectueuse des droits du Vivant, où humains et non-humains sont protégés.
Et en France, comment avance la révolution des rivières ?
Cette reconnaissance du statut de sujet de droit de l’eau et des rivières a été rendue possible à l’étranger notamment du fait du caractère sacré des entités vivantes et de l’influence des peuples autochtones, mais la mobilisation naissante en France démontre néanmoins qu’en Europe aussi, les cours d’eau ne sont pas à sec d'idées !
Wild Legal est engagé depuis 2019 dans la reconnaissance de la personnalité juridique des cours d’eau, notamment en Guyane française où nous plaidons pour les droits du fleuve Maroni, En effet, face au scandale sanitaire et écologique de l’orpaillage illégal, nous cherchons de nouvelles réponses juridiques et politiques pour faire cesser la pollution qui détruit fleuves et forêts et ainsi restaurer les écosystèmes.
Nous ne sommes pas seuls. Des élus s’engagent pour la Seine et la Drôme. Des groupements se constituent, tels que ceux pour la Loire (Parlement de Loire) ou le Rhône (L’appel du Rhône). Nous avons d’ailleurs lancé un réseau francophone des initiatives pour les droits de la Nature qui compte déjà plus d’une dizaine d’acteurs engagés sur le terrain...
Actuellement, le droit français ne garantit pas une protection écologique suffisante, malgré les outils juridiques qu’il propose, preuve en est des préjudices que subissent les écosystèmes aquatiques en France.
Reconnaître la personnalité juridique d’un fleuve, d’une rivière ou d'autres cours d’eau a pour ambition de favoriser une protection et un usage commun de l’eau, en prenant en compte l’intérêt des écosystèmes concernés. Ils pourraient ainsi être mieux défendus en justice contre des projets susceptibles de porter atteinte à leur intégrité et leurs représentants, leurs gardiens pourraient agir de manière préventive au nom de ces entités naturelles. Actuellement, seules certaines entités ont qualité à agir. La garantie de la protection des cours d’eau revient ainsi essentiellement à leurs propriétaires ou gestionnaires. Avec cette nouvelle approche, l’intérêt à agir pourrait être reconnu à des gardiens, ou conçu de manière plus large comme une action populaire (c’est à dire, le droit de chaque citoyen d’agir pour préserver l’ordre public).
Cette reconnaissance permettrait également de mieux garantir des droits fondamentaux humains tels que l’accès à une eau salubre en raison du lien d’interdépendance entre les droits de l’homme et ceux de la Nature.
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