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“La société Alteo est reconnue coupable de crime d’écocide”

Dernière mise à jour : 2 sept. 2021



C’est par ces mots que la cour du procès simulé organisé par l’association Wild Legal a reconnu la culpabilité de l’entreprise impliquée dans le déversement de boues rouges au large des Calanques de Cassis, en Méditerranée.


Ce procès simulé est l’aboutissement d’un an de travail mené par les associations Wild Legal et son partenaire ZEA ainsi que par les étudiant.e.s juristes qui ont planché sur l’affaire. Chaque année, Wild Legal choisit un concept juridique qu’il serait pertinent d’intégrer en droit français pour améliorer la protection de la nature et en tester l’efficacité in situ sur une affaire portée en partenariat avec une association de terrain.


Ce n’est donc ni un tribunal d’opinion, ni une conférence, ni un moment partagé pour débattre de l’écocide mais une simulation, un test grandeur nature au plus près du réel, dans les stricts respects du formalisme juridique.


Dans quel but ? Alors que les membres de la Convention citoyenne pour le climat avaient soutenu la reconnaissance du crime d’écocide dans le droit français, le gouvernement en a proposé une définition tronquée, réduite à un simple délit de pollution. C’est pourquoi, Wild Legal qui travaille depuis 2019 à l’écriture et à l’adoption d’un texte de loi inscrivant dans notre arsenal juridique français, un crime d’écocide, a voulu démontrer grâce à une simulation grandeur nature la portée comparative du texte porté aux côtés de la Convention citoyenne, face à celui défendu par le gouvernement sous l’appellation de «délit d’écocide».



Une affaire emblématique


L’affaire traitée concerne le rejet de déchets industriels toxiques, les fameuses “boues rouges” qui contaminent depuis 60 ans l’écosystème marin de la Méditerranée, au cœur du Parc national des Calanques. Au total, plus de 32 millions de tonnes de boues rouges auraient été déversées à ce jour par un discret pipeline au large de l’usine. Tapissant les fonds marins, ces boues s’étalent majoritairement entre 150 mètres et 500 mètres de profondeur sur une surface allant de Fos à Hyères, soit un rayon de 100 km.


Dans ce combat, l'association ZEA, spécialisée dans les océans, le climat et la lutte contre les pollutions, s’est illustrée par de nombreux recours en justice pour stopper l’industriel. Le 24 avril 2018, l’association ainsi que sept requérants, des riverains et un pêcheur professionnel ont en effet porté plainte contre X pour destruction de l’environnement et mise en danger de la vie d’autrui. L’affaire est aujourd’hui entre les mains d’un juge d’instruction du pôle santé du tribunal de Grande Instance de Marseille.


Pour soutenir ZEA dans son combat, Wild Legal a formé 20 étudiantes et étudiants juristes à la rédaction de plaintes et aux techniques de plaidoiries. Parmi ces participant.es, quatre se sont particulièrement démarquées et ont été désignées pour représenter les avocats des parties durant la reconstitution du procès simulé. Dans cette affaire, l’association ZEA a donc été représentée par Clarisse Leveque et Johanne Pinot et Alteo Gardanne, l’entreprise d'alumine sur le banc des accusés a été représentée par Nora Zaki et Jade Fautsch.


Tout le monde sait que c’est toxique”

Associant des témoins, des scientifiques et des professionnels du droit, tels que Vincent Delbos, magistrat auteur du rapport Une justice pour l’environnement, Valérie Cabanes, juriste experte du crime d’écocide et Jean-Philippe Rivaud, avocat général d’assises à Paris, ce programme se veut être un incubateur pour préparer les futures démarches des défenseurs de la nature.


Appelé à la barre pour témoigner, Jean Ronan Le Pen, co-président de l’association ZEA, partie civile au procès, souligne que personne n’ignorait la toxicité des boues déversées dans la mer et il met en avant l'instrumentalisation des informations et le secret industriel construit par l’entreprise Pechiney, puis par son repreneur Altéo. “La question est de savoir l’impact sur la santé et les écosystèmes et ils ont fait en sorte qu’il soit minimisé dans toutes les études qu’ils ont eux mêmes financées, parce que l’Etat n’a pas fait son travail de vigilance”.


Le co-président de ZEA espère que ce procès fictif en écocide nous permette de montrer que finalement ce scandale qui dure depuis les années 60 est un scandale qui aurait pu être évité “.



Alteo,vestige de l’âge du “poubellum”


La modélisation de la pollution dans le canyon de Cassidaigne, a été réalisé par Interprt, un collectif britannique d’artistes, architectes, modélistes et scientifiques

forensiques utilisant les outils du design 3D et de la data pour documenter et modéliser des crimes environnementaux commis dans le monde entier. Grâce à leur travail, il a été possible de rendre concret et visible l’ampleur de l’impact des rejets de boues rouges en mer à l’occasion du procès simulé.



L’exposé de Dominique Calmet, expert en pollution marine, a également permis de donner une assise scientifique, illustrant l'irréversibilité des dommages causés par les boues dans le canyon de Cassidaigne. Selon lui :


Les sédiments vont rester bloqués avec ces polluants et le taux de recouvrement va être très bas. On peut imaginer que dans 1000 ans, si l’Homme est toujours sur cette planète à faire des études [scientifiques] et qu’il carotte ces sédiments, il trouvera ce qu’on appelle un poubellum ; c’est-à-dire un "niveau poubelle"

La reconnaissance du crime d’écocide sera t’il un moyen de sortir de l’âge du poubellum ?


Désertion des poissons et des pêcheurs



Nous avons déserté nos plus belles zones de pêche”, témoigne Gérard Carrodano, pêcheur professionnel, en première ligne depuis les débuts de la mobilisation. Les pêcheurs sont partis de leur propre chef, quittant les zones impactées par les boues rouges, car leurs poissons auraient été invendables et probablement impropres à la consommation. Sans étude plus poussée et sans certitudes scientifiques quant à la diffusion de cette pollution, difficile de dire quel est l’impact sanitaire potentiel sur les populations humaines.


Malgré le chantage à l’emploi mené depuis des années par Altéo pour convaincre l’Etat de maintenir l’autorisation d’exploitation du site, d’autres secteurs de l’économie locale sont directement impactés par les rejets marins.



La démonstration d’un crime d’écocide


Les avocates de l’association ZEA et de l’entreprise Alteo Gardanne ont présenté différents arguments pour plaider à l’encontre ou en faveur de la culpabilité d’Altéo, notamment pour crime d’écocide. Crime qui a été, dans le cadre du procès fictif établi par une loi (fictive) du 31 août 2020 relative au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée.


ECOCIDE

Le fait de causer des dommages graves, durables ou étendus à l’environnement qui seraient de nature à mettre en danger à long terme l’équilibre du milieu naturel ou susceptible de nuire à l’état de conservation d’un écosystème.


Un principe majeur du droit pénal est le principe de l’impossibilité d’appliquer rétroactivement la loi pénale plus forte à des faits antérieurs à son entrée en vigueur. Mais les avocates de ZEA plaident pour l’appliquer, arguant que “le comportement délinquant d’Alteo s’est prolongé dans le temps du fait de sa volonté réitérée : chaque année, oui, chaque année, il s’est débarrassé impunément et sciemment de ses boues toxiques dans la mer et a donc commis une succession d’actes illégaux” dont les effets persistent encore aujourd’hui.


Dans leurs plaidoiries, elles se réfèrent d’ailleurs à une jurisprudence de la Cour européenne des droits des l’Homme du 22 novembre 1995 selon laquelle “il est possible d’appliquer une norme nouvelle dès lors que celle-ci était absolument prévisible...” pour justifier l’application du crime d’écocide à l’affaire des boues rouges de Gardanne.


Puis les avocates détaillent les trois éléments constitutifs de l’infraction : un dommage grave, durable et étendu. Elles déclarent que “les rejets industriels d’Alteo anéantissent l’écosystème par étouffement et destruction, ils empêchent la conservation et la reproduction des espèces”. A leurs yeux, il n’existe donc aucun doute sur l’existence d’un dommage menaçant à long terme l’équilibre du milieu naturel.


Si Altéo a bénéficié de dérogations préfectorales pour déverser les boues rouges en mer, les avocates ont mis en exergue que “le crime d’écocide est une infraction autonome, indépendante du droit administratif.” Elles rappellent ainsi qu’avec le crime d’écocide la volonté du législateur [fictif - l’association Wild Legal à l’origine de ce texte] a été de permettre au juge de poursuivre les atteintes les plus graves commises contre la nature, sans qu’une autorisation administrative ne puisse y faire obstacle.


Pour la partie civile, il est par ailleurs clair que l’intention de nuire -critère nécessaire pour la constitution d’un crime d’écocide- ne peut être écarté dans cette affaire. “Alteo a choisi, choisi de perpétuer ces rejets en repoussant sans cesse la date à laquelle il devait cesser (...) Cette violation constante suffit à caractériser son intention“, souligne l’avocate de ZEA.



Altéo, “ bouc émissaire” ?


Les avocates de la défense, Nora Zaki et Jade Fautsch, leur client n’a rien à faire dans les tribunaux, encore moins face à l’association ZEA, dont elles contestent l’intérêt à agir. Pour elle le principe de non rétroactivité de loi pénale fait obstacle à toute poursuite. “Ces faits ne sont pas des infractions continues, seuls les faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, c'est-à-dire à partir du 1er septembre 2020 peuvent être pris en considération“ énoncent-elles.


Les avocates de la défense soulignent que l’industriel avait le feu vert de plusieurs autorités et notamment celui de “l’autorité environnementale [qui] a reconnu que le déversement suite au filtre était parfaitement acceptable pour le milieu naturel ainsi que pour les usages et activités de l’homme”. Sur un ton serein, elles tentent de convaincre le jury de l’absence de consensus scientifique et donc de lien de causalité établi entre la toxicité des boues et des effets nuisibles sur l’écosystème méditerranéen.


Mais là où les arguments de l’entreprise semblent le mieux convaincre c’est sur le critère de l’intention de nuire. S’en référant aux chiffres, les avocates brandissent en gage de bonne foi, les 24 millions d’euros d’investissements d’Altéo, démontrant selon elles une “grande diligence à se conformer au plus vite à la réglementation.”


“Délit d’écocide”, quelle application dans cette affaire ?


Un des enjeux du procès (simulé) était de montrer l’application du “délit d’écocide”, appelé à l’origine “délit générique d’atteinte à l’environnement” par ses concepteurs et dont le gouvernement s’est emparé en lieu et place du crime d’écocide réclamé par la Convention Citoyenne pour le climat.


Pour rappel le gouvernement a défini comme un “délit d’écocide” le fait de violer intentionnellement une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement et de déverser dans les eaux de la mer une ou des substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.


“11 dépassements constatés en 2016 et 33 depuis 2018”


Ces chiffres avancés par les avocates de la partie civile témoignent du non-respect des autorisations administratives qui ont été constaté par des contrôles inopinés des services de l’Etat (DREAL), malgré des mises en demeure répétées. Non seulement Alteo avait obtenu une dérogation aux normes en vigueur, réussissant ainsi à faire primer les enjeux économiques sur les impacts écologiques, mais même là, l’industriel n’avait pas respecté ses obligations règlementaires.


Pour les avocates de ZEA, il faut interpréter la “volonté persistante" d'Alteo de maintenir son activité sans remédier aux multiples dépassements de seuils autorisés pour ses rejets, comme une violation intentionnelle des obligations réglementaires de prudence et de sécurité.


Pour les avocats de la défense au contraire, le jury ne peut pas retenir le critère de l'intention alors même qu'Altéo respectait ses obligations réglementaires, et que quelques dépassements des seuils de rejets ne sauraient démontrer l'intention de porter atteinte aux écosystèmes alors même qu’Altéo se trouve dans une situation économique difficile et qu’elle dédie 40% de ses investissements à l’environnement.


Il est important de préciser que, contrairement au crime d’écocide, qui est une infraction autonome, le délit de pollution imaginé par le gouvernement ne peut conduire à des sanctions que si l’action n’a pas été autorisée par l’administration. Tant que le déversement de produits toxiques en mer est autorisé, il s’agit d’un “rejet”, sinon c’est une pollution. Cette différenciation purement bureaucratique limite le pouvoir de sanction du juge : il ne peut pas poursuivre l’ensemble de l’action et la responsabilité de l’industriel ne peut être recherchée que pour la différence entre les seuils autorisés et les seuils contrôlés. La sanction attendue est donc bien plus faible que si le juge pouvait également considérer l’ensemble des dommages commis, autorisés ou non, et s’il pouvait ainsi prendre en compte l’ensemble de l’impact de cette pollution.


La fin de l’illégitime droit à polluer des industriels


Suite aux plaidoiries des représentantes de l'association ZEA vient le tour de l'avocate générale, qui représente le parquet et dont le rôle est de faire respecter l’ordre public et appliquer la loi pénale. Soulignant l’opportunité unique créée par l’inscription du crime d’écocide dans le droit français elle a appeler lee membre du jury à “mettre un terme à cette situation qui est illégitime, dans laquelle la préfecture a autorisé puis régularisé à plusieurs reprises les activités d’Alteo en donnant diverses autorisations administratives renouvelées“. Elle demande “au nom du ministère public une peine exemplaire (...) de 20% du chiffre d'affaires annuel, soit 38 millions d’euros ” au titre du crime d’écocide.


L’avocate générale réclame également une mesure de compensation au titre du préjudice écologique subit par l'écosystème du canyon de Cassidaigne et ses alentours, la réparation étant impossible au regard de l'irréversibilité des dommages. La somme due a été calquée sur le budget annuel du parc national des Calanques soit 6 millions d’euros par an sur une durée de 10 ans, afin de financer des programmes de sensibilisation et de protection des espaces naturels touchés.



Le délibéré final


Suite aux témoignages et aux plaidoiries, les membres du jury ont entamé leurs discussions en vue du délibéré. Après avoir déclaré la Cour d'assises compétente pour juger cette affaire comme le veut la procédure, le jury s'est prononcé sur la culpabilité de la la seconde question : La société Altéo est-elle coupable du crime d’écocide ?


Les résultats du vote : 8 voix OUI et 1 voix NON.


La question du délit de pollution générique de l’environnement (“délit d’écocide” proposé par le gouvernement) n’a donc pas été posée, car une personne ne peut pas être punie plusieurs fois pour les mêmes faits de dégradation de l'environnement.


Puis le jury s’est prononcé sur la demande de l’avocate générale d’infliger une peine de 20% du chiffre d'affaires, ainsi des peines complémentaires comprenant l’’interdiction pendant 5 ans de percevoir toute aide publique ainsi que l’affichage de la décision.


Prenant en considération les investissements réalisés par la société Altéo, le jury a abaissé légèrement la peine réclamée, à 16% du chiffre d’affaires, soit 30,4 millions d’euros. Les peines complémentaires font consensus.


Le jury s’est prononcé en faveur de la sanction civile fixée à 6 millions d’euros par l’avocate générale, visant à réparer le préjudice écologique et a également demandé la mise en place d’une autorité chargée de vérifier l’utilisation de cette somme et certains membres du jury réclament également la création d’un mémorial pour honorer la mémoire de l’écosystème détruit.



Les boues rouges, un crime international ?


Valérie Cabanes, magistrate assesseur de la cour d’assises fictive, a fait le lien entre le travail réalisé en France et celui mené par la fondation Stop Ecocide au niveau international. Celle-ci s’est en effet entourée d’un panel d’experts indépendants pour la définition juridique de l'écocide visant à être intégré au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.


La définition issue de leur collaboration est la suivante : “écocide s’entend d’actes illicites ou arbitraires commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves, qui soient étendus ou durables.”


Pour Valérie Cabanes, les faits commis par Altéo seraient qualifiés de crime d’écocide au regard de la définition internationale proposée par la fondation. Il est donc nécessaire qu’en droit français, la définition choisie pour transposer le crime d’écocide soit bien compatible avec le droit international. Le “délit d’écocide” proposé par le gouvernement est selon les mots de la fondation “trop faible” et “démontre une réticence à légiférer fortement au niveau national”. Un signal inquiétant qui confirme l’importance des actions de l’association Wild Legal et du procès simulé pour mettre en lumière l’impact pratique de la reconnaissance d’un véritable crime d’écocide, autonome du droit administratif et cohérent avec les limites planétaires et la protection des intérêts de notre territoire.


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