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FAQ // Ecocide : comprendre les travaux en cours pour réformer la justice environnementale

Dernière mise à jour : 19 oct. 2020



Sommaire de la Foire aux Questions

  • Comment définir le crime d’écocide ?

  • Où en est le travail sur cette définition de l’écocide depuis la Convention citoyenne ?

  • Y a t’il d’autres pistes de réflexions pour définir l’écocide ?

  • Comment définir les dommages aux équilibres des milieux naturels ?

  • D’autres Etats ont-ils réussi à adopter une définition de l’écocide ?

  • Qu’en pensent les magistrats ? Existe-t-il des blocages selon eux ?

  • Quelles autres synergies pourraient être proposées entre le rapport “une justice pour l’environnement” et l’écocide ?



Comment définir le crime d’écocide ?


L’écocide étant une notion nouvelle et complexe, il n’existe pas en droit international, de définition globalement acceptée et reconnue du crime d’écocide. En France, plusieurs tentatives se sont succédées pour tenter d’établir des critères et une formulation consensuelle.


Le sénateur Jérôme Durain a déposé en mars 2019 une proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide. Rejetée en mai de la même année, elle proposait la définition suivante de l’écocide :


« Constitue un écocide le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population. L’écocide est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende »

En octobre 2019 la proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide, déposée par le député Christophe Bouillon, rejetée en décembre, décrivait le crime d’écocide comme :


« Des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème Art. 413-15. – Constitue un écocide toute action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. L’écocide est puni de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 10 000 000 € ou, dans le cas d’une entreprise, de 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent »

À l’automne 2019, une proposition de loi, co-rédigée par Marine Calmet de Wild Legal, Valérie Cabanes et Paul Mougeolle de Notre Affaire à Tous, avait été préparée dans le cadre d’un travail de réflexion parlementaire transpartisan. Soumise aux citoyen·nes de la CCC sous la forme d’une contribution, Marine Calmet a été auditionnée sur la base de ces travaux et Valérie Cabanes a ensuite été invitée devant le groupe “Se nourrir” qui a travaillé sur une proposition visant à reconnaître les limites planétaires et le crime d’écocide dans le droit français. Cette proposition a été adoptée par la CCC le 20 juin dernier.


Elle propose la définition suivante :


« Art. 522-1. - Constitue un crime d'écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d'au moins une des limites planétaires [définies à l'article LXXX du code de l'environnement] et dont l'auteur savait ou aurait dû savoir qu'il existait une haute probabilité de ce dépassement
Le crime d'écocide est puni de vingt ans de réclusion criminelle et d'une amende de [10 000 000 €] dont le montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 20% du dernier chiffre d'affaire connu à la date de la commission des faits ».

«Art. 522–2-Constitue un délit d'imprudence d'écocide, toute violation d'une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi, le règlement ou une convention internationale ayant causé directement ou indirectement un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste des limites planétaires (au sens de l'article L.XXX du code de l'environnement], s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Le délit d'écocide est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 1 000 000 € d'amende dont le montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement à 10% du dernier chiffre d'affaire connu à la date de la commission des faits.

Voir la proposition adoptée par la CCC.



Où en est le travail sur cette définition de l’écocide depuis la Convention citoyenne ?


La position exprimée par M. le Président de la République en juin dernier et reprise par le Garde des Sceaux est qu’il est encore nécessaire de revoir la rédaction proposée par la CCC, notamment en raison de l’utilisation de la notion de “limites planétaires”.

Et en effet, les scientifiques que nous avons consultés confirment qu’il est encore nécessaire d’approfondir les recherches dans ce domaine afin de déterminer au niveau français, des seuils de dépassements des limites planétaires pouvant servir à caractériser une mise en danger de la stabilité de nos écosystèmes, et donc de la réalisation d’un écocide. Selon leurs estimations, deux années pourraient suffire si la France se dotait des moyens scientifiques pour répondre à cet enjeu. D’où l'importance de la création d’une Haute Autorité des limites planétaires !



Y a t’il d’autres pistes de réflexions pour définir l’écocide ?


Prenant en considération les remarques exprimées par les scientifiques et les juristes, l’association Wild Legal s’est penchée sur la possibilité de définir et de sanctionner l’écocide via l’atteinte aux intérêt “écologiques” fondamentaux de la Nation.


En effet, l’article 410-1 du Code pénal, prévoit que :


“Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel.”

Cependant, le nouveau Code pénal français, entré en vigueur le 1er mars 1994, qui reconnut ainsi les intérêts fondamentaux “écologiques” de la nation n’en a pas pour autant tiré les conséquences : il n’y a pas d’infraction dédiée pour sanctionner les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation au sens écologique du terme. Aucun texte ne prévoit de peine applicable à l’atteinte à l’équilibre du milieu naturel et de l’environnement.


La notion d’équilibre des milieux naturels fait ainsi référence à la protection de la santé, de la stabilité et de l’habitabilité des écosystèmes. Pour faire suite aux objectifs et aux ambitions définis par la CCC, cette piste de travail permet d’envisager la création d’une incrimination permettant de poursuivre les industriels et les grands pollueurs qui mettent à mal l’équilibre biologique de nos territoires.


Afin de respecter la volonté des membres de la CCC, il s’agirait d’un texte de transition, afin de répondre à la fois à l’urgence d’agir pour renforcer la poursuite des atteintes à la nature tout en gardant la porte ouverte à une transposition des limites planétaires afin d’assurer que les avancées de la science puissent venir consolider les textes actuels.


Comment définir dans ce cas, les dommages aux équilibres des milieux naturels ?


Pour délimiter le périmètre de cette infraction, il est envisageable de s’appuyer sur trois critères : « des dommages graves, durables et étendus à l’environnement ». L’utilisation de ces termes n’est pas inédite en matière de crimes environnementaux notamment en droit international de la guerre. En effet, l’exigence de « dommages graves, durables et/ou étendus » est présente dans plusieurs conventions internationales relatives au droit de la guerre.


C’est le cas de l’article 8, 2, vi) du Statut de Rome définissant le crime de guerre, ainsi que dans les articles 35§3 et 55 du Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949 et dans la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Convention ENMOD).


L’objectif est que l’écocide puisse se détacher d’une vision anthropocentrée de l'atteinte à l’environnement, et que la réalisation du dommage puisse ne concerner que le milieu naturel sans besoin par conséquent d’un péril pour la santé humaine.


D’autres Etats ont-ils réussi à adopter une définition de l’écocide ?

Plusieurs Etats ont déjà reconnu l’écocide dans leurs droits nationaux. Il est possible notamment de citer le Vietnam qui a reconnu l’écocide comme branche du crime contre l’Humanité en 1990 à l’article 342 de son code pénal. En outre, neuf Etats entre 1996 et 2003 en ont fait de même, en l’occurrence : la Russie (article 358), la Moldavie (article 136), l’Arménie (article 394), Kazakhstan (article 161), le Kirghizstan (article 374), la Géorgie (article 409), le Tadjikistan (400), la Biélorussie (article 131) et l'Ukraine ( article 441).


Par exemple, la Russie définit à l’article 358 du Code pénal russe de 1996 l’écocide comme « la destruction massive des royaumes animal ou végétal, la contamination de l’atmosphère ou des ressources en eaux, et aussi la commission d’autres actions capables de causer une catastrophe écologique”.


Au Brésil, suite aux dommages écologiques majeurs liés à la rupture de digues du secteur minier ayant résulté en une destruction et une contamination sur le long terme des écosystèmes locaux, la Chambre des députés a travaillé sur un texte PL 2,787 / 19 avec l'intention de modifier la loi n ° 9605/98 (loi sur les délits environnementaux), en reconnaissant le crime d’écocide. Le texte prévoit une peine de 4 à 12 ans de prison, en plus d'une amende, pour ceux qui « causent une catastrophe écologique majeure ou qui produisent un état de calamité publique, du fait d’une destruction importante de la flore ou la mort d'animaux, en raison de contamination ou de pollution de l'air, de l’eau ou du sol ». Cette proposition de loi approuvée par la Commission sénatoriale de l'environnement (CMA), doit passer à la Commission Constitution et Justice et devant la plénière du Sénat.



Vue aérienne du fleuve Rio Doce pollué après la rupture d'un barrage de déchets miniers, le 24 novembre 2015 à Regencia, dans l'Etat d'Espirito Santo, au Brésil

afp.com/FRED LOUREIRO


Qu’en pensent les magistrats ? Existe-t-il des blocages selon eux ?


Qui dit crime d’écocide, dit aussi formation de jugement adaptée aux plus hautes infractions ! En France, les crimes sont jugés devant les Cours d’assises.

Or, durant nos travaux, nous avons pu sonder les réticences de certains magistrats à l’égard d’une formation de jugement telles que les Cours d’assises en raison de la présence d’un jury populaire composé de citoyens tirés au sort. Cela semble être un point bloquant pour nombre d’entre eux qui considère que la matière environnementale est trop complexe. Nous pensons néanmoins, qu’il est important que les citoyens ne soient pas exclus des tribunaux et puissent connaître de ces crimes mettant en danger l’intégrité du territoire. Etant donné que la CCC a prouvé que les citoyens étaient tout à fait à la hauteur des enjeux écologiques de notre siècle, si ce n’est le fer de lance d’une révision en profondeur de notre juriste environnementale, il serait discutable de les tenir éloignés de ce contentieux.


Toutefois, une voie alternative pourrait être envisagée, sur le modèle de la formation de jugement en matière de criminalité des mineurs. En effet, la cour d’assises des mineurs, composée de trois magistrats professionnels et de six jurés populaires tirés au sort, connaît des crimes commis par les mineurs de 16 à 18 ans et leurs complices ou coauteurs majeurs.


Il serait donc possible de concevoir une formation de jugement qui pourrait à la fois intégrer des magistrats d’un pôle spécialisé environnement (comme le propose le rapport “une justice pour l’environnement”), et conserver une part de participation citoyenne, par le tirage au sort d'un jury populaire.



Quelles autres synergies pourraient être proposées entre le rapport “une justice pour l’environnement” et l’écocide ?


Le rapport “une justice pour l’environnement” souligne la nécessité de la création d’une "infraction générale en matière environnementale". L’écocide permettrait de répondre à ce besoin, car contrairement aux différentes atteintes aux milieux naturels prévu dans le code de l’environnement (eau, air etc…), celui-ci s’appliquerait de manière globale et écosystémique. Différencier crime et délit d’écocide, permettrait dans un second temps de proposer une échelle des peines adaptée à la responsabilité des auteurs.


En outre, l’écocide serait complémentaire du “délit de mise en péril grave de l’environnement” proposé par le rapport, puisque le délit de mise en péril sanctionne la création d’un simple risque d’atteinte grave à l’environnement, alors que l’écocide incriminerait la réalisation de ce risque.


La recommandation n°11 du rapport « Une justice pour l’environnement » propose de créer un nouveau chapitre dans le Code pénal se nommant « lutte contre les atteintes aux équilibres écologiques et à l’environnement » qui comprendrait les infractions les plus graves à l’environnement. Cette proposition s’explique car le droit pénal de l’environnement s’est construit au fur et à mesure du développement des normes administratives et des conventions internationales avec comme résultat des infractions éparses et complexes. La reconnaissance de l’écocide serait l’occasion d’un changement de paradigme, car il permettrait d’adopter une conception globale de l’environnement et des atteintes qui lui sont portées. Sa consécration pourrait donc constituer la première étape vers une refonte du droit pénal de l’environnement, qui se caractériserait par l’adoption de plusieurs infractions générales en matière environnementale dans le Code pénal. Ces dernières seraient gradées et complémentaires sur le modèle des infractions d’atteinte aux personnes avec l’assassinat, le meurtre, l’homicide involontaire, la mise en danger d’autrui… Par conséquent, l’articulation des différentes infractions serait d’une grande simplicité avec des critères de différenciation classiques entres les incriminations, tels que l’intention et la gravité du dommage.


Avec cette conception, l’écocide serait au sommet de cette pyramide d’incriminations en tant qu’infraction la plus grave en matière d’atteinte à l’environnement. Une telle réforme aurait comme avantage de faciliter l’accessibilité du droit pénal de l’environnement, étant donné que l’ensemble de ces infractions se trouveraient toutes dans le Code pénal.





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