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[Décryptage] L'article 1er de la Charte de l'environnement au secours des aires marines protégées des Antilles Françaises

Dernière mise à jour : il y a 1 jour




L’accueil de la Conférence des Nations-Unies sur l’Océan en juin prochain à Nice met les projecteurs sur les Aires Marines Protégées (AMP). L’UICN les définit comme des espaces clairement définis, reconnus, consacrés et gérés, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés. En France, elles sont réglementées par les articles L334-1 à L334-8 du Code de l’environnement et représentent aujourd’hui près de 32% des eaux de la zone économique exclusive française. Ces chiffres, a priori encourageants, traduisent une réalité bien moins satisfaisante. Moins de 2% d’entre elles bénéficient d’un cadre juridique adapté pour assurer une protection efficace.


Dans ce contexte, l’ordonnance du  Tribunal administratif de la Martinique intervient à point nommé. Le 04 mars 2025, la juge des référés a en effet suspendu une campagne d’étude sismique menée dans les aires marines protégées des Antilles françaises sur le fondement de l’article L521-2 du Code de justice administrative qui encadre le recours au référé-liberté. Décryptage à suivre. 


Rappel des faits et de la procédure


Le 13 janvier 2025, le Préfet  de la zone maritime des Antilles a autorisé un navire de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER) à mener une campagne de recherche scientifique dans le domaine sismique du 1er mars au 20 avril 2025 au au large des îles de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy, de la Guadeloupe et de la Martinique. La mission avait pour but d’acquérir des profils sismiques de haute résolution pour caractériser la tectonique et l’historique des déformations liées à la subduction de la ride des Bahamas. 


Très concrètement, il s’agissait pour les scientifiques de réaliser un échantillonnage des roches à l’aide de dragues chalutées sur le fond marin. Ces opérations nécessitent l’utilisation de canons à air, toutes les dix secondes, provoquant une pression acoustique de 238,7 décibels et une exposition sonore de 214,3 décibels, des sons émis à de très basses fréquences. Le 31 octobre 2024, le gestionnaire du sanctuaire Agoa (en l’espèce, l’Office Français de la Biodiversité) avait émis un avis technique pointant les impacts acoustiques potentiellement forts voire délétères pour les espèces protégées sur site. 


Le 28 février 2025, les associations locales de protection de l’environnement ont déposé une requête en référé-liberté devant le Tribunal Administratif de la Martinique demandant, à titre principal, la suspension de l’exécution de l’arrêté aux motifs que la période retenue pour réaliser ses études était inadaptée aux cycles biologiques des baleines à bosse et des cachalots compte tenu que leur période de migration, de reproduction et de mise bas s’échelonne sur les mois de mars et avril. Les associations rappellent par ailleurs que ces deux espèces figurent sur la liste des espèces protégées et que l’arrêté encadrant les modalités de leur protection interdit la destruction, l’altération ou la dégradation de leur site de reproduction et de leurs aires de repos. On soulignera ici l’audace de l’association et de son conseil qui ont pris le risque de déposer un recours en référé-liberté dans un contexte jurisprudentiel encore instable puisque le Conseil d’État vient seulement de valider le principe selon lequel il était possible de recourir au référé-liberté pour la protection de l’environnement.


Le droit à un environnement équilibré et sain est une liberté fondamentale


Encouragé par l’ordonnance de la juridiction suprême précitée,  le juge des référés du Tribunal administratif admet en l’espèce que les trois conditions nécessaires à la saisine du référé-liberté sont remplies.


  • Sur la démonstration de l’urgence, le juge confronte  la date de la saisine, le 28 février 2025, et la date du début de la campagne, le 1er mars 2025.

  • Sur le caractère grave et manifestement illégale de la mesure administrative, le juge souligne, à l’aide des pièces du dossier, que les techniques de mises en oeuvres des opérations vont avoir des “effets néfastes et irréversibles sur l’équilibre et la conservation” des espèces, par ailleurs protégées : du stress, des changements migratoires, une rupture de la relation mère/enfant, des lésions physiologiques graves, etc. 

  • Sur la reconnaissance d’une atteinte à une liberté fondamentale, le juge se borne à rappeler que l’article 1er de la Charte de l’environnement qui dispose “Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé” présente le caractère d’une liberté fondamentale.


Après s’être assuré que les faits reprochés sont effectivement de nature à porter une atteinte à la liberté de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé des requérants, soit parce que lesdits faits atteignent leur situation personnelle, soit parce qu’ils affectent leurs intérêts, le juge fait droit aux demandes des associations. N’ayant pas le pouvoir de prononcer l’annulation de la décision administrative attaquée (ce pouvoir revient au juge du fond dans le cadre d’un recours en annulation), il décide d’en prononcer la suspension au titre des mesures permettant de faire cesser, dans l’urgence, les atteintes à la liberté garantie. 


C’est une victoire pour les mammifères marins qui évoluent dans les aires marines protégées des Antilles. 


Une procédure efficace entretenant toutefois une application anthropocentrée du droit de l’environnement


Une question doit toutefois être soulevée : la procédure du référé-liberté, bien qu’efficace, est-elle la plus adaptée ? Plusieurs arguments nous laissent penser le contraire.


Sur le fond d’abord. Une nouvelle fois, ce contentieux inscrit le droit de l’environnement dans une dimension anthropocentrique et élitiste. Il suggère tout particulièrement que le droit des entités naturelles d'exister et de vivre dans un environnement équilibré ne peut pas grandir à côté et en complément des droits humains. Il doit nécessairement les convoquer et les traverser. Or, est-il vraiment nécessaire de convoquer les droits fondamentaux de l’Homme pour exiger du juge qu’il suspende la non réalisation d’une activité pouvant causer des dommages irréversibles à des espèces protégées ? Les espèces en question (protégées ou pas, d’ailleurs) ne pourraient-elles pas directement bénéficier du droit de vivre dans un environnement équilibré ? 


Sur la procédure ensuite. L’obligation pour le requérant de démontrer une atteinte à une situation personnelle ou aux intérêts qu’il défend pour accéder au juge afin de lui demander de mettre fin à une mesure manifestement illégale et destructrice de la Nature est-elle bien nécessaire et justifiée ? L’application de la norme environnementale est ici contrainte et enfermée dans le cadre des intérêts défendus par le(s) requérant(s). Cela fait peser une lourde responsabilité sur les associations de protection de l’environnement, qui, par leur statut, sont bien les seules à pouvoir démontrer au juge qu’elles ont un intérêt à ordonner toute mesure nécessaire pour mettre fin à un acte administratif portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Autrement, quel citoyen peut justifier que la mort d’une espèce sauvage - qui plus est marine - porte atteinte à sa situation personnelle ? Compte tenu des enjeux, ce profond décalage entre l’accès au juge et la préservation du Vivant doit nous maintenir en alerte et nous encourager à pousser les frontières de notre ordre juridique. 


Placer l’intérêt des humains au centre de cette procédure ne fait pas sens, ni du point de vue écologique, ni du point de vue de l’idéal de Justice.

Toutefois, contraint par le cadre législatif, le juge ne porte ici aucune responsabilité. C’est bien au législateur qu’il incombe la charge de poser le débat de l’intérêt à agir devant le juge en matière de préservation de l’environnement. Ces débats sur l’intérêt à agir sont essentiels pour faire évoluer le contentieux.


Une conception plus large pourrait avoir pour effet d’orienter l’analyse juridique sur l’objet précis des litiges environnementaux davantage que sur la situation humano-centrée du requérant.

Ce point de vue trouve un écho dans les jurisprudences des cours étrangères qui ont justement ouvert leur prétoire et que nous décryptons régulièrement sur ce blog.


Les AMP : des espaces vraiment protégés ?


Si l’on met de côté le débat théorique, cette jurisprudence est aussi et surtout l’occasion pour l’Administration française de réinterroger ses pratiques dans les aires marines protégées. Cette affaire fait tout particulièrement écho à la gestion mise en œuvre au sein de la Réserve Naturelle Marine de la Réunion au sein de laquelle le Préfet autorise l’abattage massif de requins tigres et bouledogues au profit d’une activité de loisirs, le surf.



Pour dépasser les insuffisances du droit positif, la création d’un nouveau type d’aires protégées spécifiquement liées à la protection des mammifères marins et des requins est envisagée par ailleurs. C’est la voie qu’ont emprunté, depuis 2010, certains pays comme les Fidji, les Bahamas, les Maldives ou bien encore les Palaos qui ont entrepris de créer des « sanctuaires de requins » au sein desquels ils « ne peuvent être pêchés, détenus, commercialisés, mis en vente, vendus ou achetés, importés ou exportés, ou encore nourris » . 


La création d’aires protégées spécifiques reste une solution parmi d’autres. Elle serait particulièrement intéressante si elle était couplée à la reconnaissance d’une personnalité juridique aux espèces concernées. De cette manière, il serait possible d’une part, de déployer un cadre juridique parfaitement adapté à leurs besoins écologiques et d’autre part, de poser les fondements pour qu’elles soient défendues par des gardien·nes reconnu·es à ce titre par les textes juridiques et les institutions publiques et privées.  


De manière plus ambitieuse, la reconnaissance des droits de l’Océan par les États membres des Nations-Unies ouvrirait le champ des possibles pour définir de nouvelles relations avec le Vivant et garantir un développement harmonieux des sociétés humaines et des non-humains. 

Pour soutenir Wild Legal dans cette action, vous pouvez signer la pétition pour les droits de l’Océan qui sera présentée aux chefs d’État et de gouvernements à Nice en juin prochain : https://www.change.org/droitsdelocean



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